Into the wild : les coulisses d’un kraal au Karamoja

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Dimanche matin, nous nous levons aux aurores pour visiter un « kraal ». C’est le nom que l’on donne ici au campement où les animaux sont gardés la nuit. Il se situe généralement loin des routes et des villages et s’organise toujours plus ou moins de la même façon. Un enclos est formé par un enchevêtrement de troncs et plusieurs aires sont formées afin de séparer les animaux : les veaux d’un côté, les vaches de l’autre afin de garder le lait pour la traite du matin. Pareil pour les chèvres. L’enclos est au centre des huttes, habitations des bergers, afin de protéger et surveiller le bétail.

Découverte de la vie au kraal

À ma grande surprise, le kraal abrite un grand troupeau de 100 à 150 bovins au moins, et environ l’équivalent de caprins ! Charles nous explique que le cheptel de plusieurs familles est rassemblé ici. Ils sont tous marqués de manière différente pour les reconnaitre, à l’aide de scarifications sur la peau ou de découpes dans les oreilles. Pour veiller sur tout ce troupeau, un groupe d’une trentaine de bergers est présent, tous des hommes, âgés de 5 à 60 ans. Les jeunes sont en majorité et de très jeunes enfants sont présents. À partir d’un certain âge, ils sont tous vêtus d’un shuka Masai, sorte de couverture traditionnelle, souvent accompagné d’un chapeau coloré.

La vie au kraal est rude. La journée, les bergers emmènent les animaux brouter et partent à la recherche d’eau. Ils parcourent parfois plus de 60 à 70 km par jour ! Dès l’âge de 7 ans, les garçons peuvent se voir confier un troupeau d’une vingtaine de bovins adultes, voire plus ! Et pour les hommes aussi, la nourriture est souvent difficile à trouver. Ils se nourrissent principalement de lait, souvent mélangé à du sang prélevé directement sur un animal vivant ! Heureusement, on a raté ce moment… Car si on avait été présent au moment du « déjeuner », ils nous auraient très certainement invités à goûter. Je me suis promis de ne rien refuser, mais le risque sanitaire est bel et bien présent… Charles nous explique que les plus jeunes sont souvent délaissés au niveau nourriture ; c’est la loi du plus fort qui règne ici !

Nous marchons à travers le troupeau, accompagnés d’un jeune homme qui semble être un des leaders du groupe. Nous discutons des maladies rencontrées ici par l’intermédiaire de Charles, notre fidèle traducteur. Une bonne partie des autres membres du groupe nous suivent, intrigués par notre présence et agités de rires nerveux dès que nos regards se croisent. Je prête mon appareil photo à un jeune qui nous suit, ce qui déclenche l’euphorie générale ! Il prend en photo tous ses amis et y prend un grand plaisir ! Je ne pense pas qu’il ait déjà eu l’occasion de faire ça… Encore une fois, le bonheur ne réside parfois que dans des choses simples !

Des intestins de chèvres pour lire l’avenir

Nous rejoignons ensuite un petit groupe un peu isolé qui semble concentré sur quelque chose par terre. À notre grande surprise, ils examinent les intestins d’une chèvre qu’ils viennent de tuer ! Ils attendent le leader qui nous accompagne, qui est aussi voyant, pour qu’il y lise l’avenir ! Cela peut paraître étrange, mais c’est une pratique courante ici. Tout commence par un rêve, où un animal lui apparaît. Dès le lendemain, l’animal est abattu pour y lire l’avenir. Aujourd’hui, les nouvelles ne sont pas très bonnes : le devin voit plusieurs véhicules arriver vers le kraal, sans doute pour voler les animaux. Autour d’eux, beaucoup de sang et des morts, mais aussi un véhicule de l’armée qui arrive pour les aider… Il leur faudra mettre des pierres autour du troupeau et du kraal pour le protéger !

Une fois cette première chèvre entièrement consommée, une autre sera tuée pour conjurer le sort, en espérant que les prédictions y soient meilleures. Complètement fou ? Ne jugeons pas trop vite. Je pense que dans de telles conditions de vie, les superstitions trouvent toutes leur place ! Je ne dis pas que je crois à ces prédictions, mais je respecte leurs croyances. C’est un processus ancestral et culturel qu’il faut respecter.

Distribution de chocolats

À la fin de notre visite, je sors quelques chocolats de mon sac. Je leur présente innocemment le paquet après avoir fait le plus de morceaux possible. Ils me regardent d’abord d’un air interrogateur et je leur explique que cela se mange. Et là, pas le temps de compter jusque trois, tout a disparu ! Le moindre morceau laissé au sol est ramassé et enfourné en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ! Certains sont partis avec une poignée entière, et les plus jeunes ont le regard triste de n’avoir rien attrapé. Je décide alors de procéder autrement avec mon deuxième paquet. Je découpe un maximum de morceaux et les distribue de manière plus ou moins équitable. Ce n’est pas une mince affaire ! Les plus jeunes se poussent à mes pieds, et je dois attraper leur main et la refermer sur le chocolat… Difficile à imaginer encore une fois dans notre société ! Avant de partir, nous laissons également une boite de dix aiguilles au « leader », qu’il accepte comme un trésor.

Sur la route du retour, c’est toujours le même ballet de femmes transportant toutes sortes de choses sur leur tête, leur chargement pesant parfois plus de la moitié de leur poids ! Très souvent, des bidons remplis d’eau, même pour les jeunes enfants ! Ils nous font signe à chaque fois qu’ils nous voient, le sourire aux lèvres et criant « Msungu !!! Msungu !!! » ou encore « let dododododooo », une autre expression qui revient très régulièrement, plus souvent dans la bouche des garçons. Charles nous explique qu’ils demandent en fait des bouteilles d’eau vides, qu’ils utiliseront pour récolter, vendre ou consommer du lait ! Nous nous mettons alors à jeter les bouteilles amassées dans la voiture, en veillant toujours à attendre quelques mètres de peur qu’ils ne se jettent sous nos roues pour récupérer leur butin ! Si vous pouviez voir leur sourire quand vous leur offrez une bouteille en plastique vide… juste une bouteille vide ! Impossible de décrire le sentiment qui m’envahit à ce moment-là.

Elisa Scohy

> Découvrez la suite du blog d’Elisa : « Des chèvres Galla pour fermiers modèles »