Dès ses débuts au Niger, Vétérinaires Sans Frontières a mis l’accent sur la fourniture de services vétérinaires de qualité pour tous. Et on peut dire que le défi était de taille, sur un territoire 40 fois plus grand que la Belgique (1,267 million km²). Aujourd’hui, le pays compte pas moins de 40 Services Vétérinaires Privés de Proximité (SVPP) actifs, ce qui représente autant de vétérinaires et pas moins de 1500 agents communautaires de santé animale sur le terrain.
Ensemble, ils parviennent à atteindre les zones les plus reculées, où ils fournissent des soins de santé et des médicaments vétérinaires de qualité. Malgré les défis logistiques et sécuritaires, 42 des 63 départements du Niger sont couverts, soit environ deux-tiers du territoire. Comment expliquer la réussite de ce système depuis 20 ans, là où d’autres pays ont échoué ? Nous avons posé la question à notre collègue Yacouba Mahamadou, expert en santé animale chargé de l’appui aux SVPP au Niger.
Comment fonctionne le dispositif de santé animale de proximité au Niger ? Quels sont les différents acteurs qui fournissent les soins aux animaux ?
« Le dispositif de santé animale de proximité au Niger repose principalement sur les Services Vétérinaires Privé de Proximité (SVPP). Ce système, initié par Vétérinaires Sans Frontières Belgique, est composé d’un vétérinaire privé et d’un réseau d’auxiliaires d’élevage, aussi appelés Agents Communautaires de Santé Animale (ACSA). Ceux-ci sont des éleveurs qui sont formés aux soins de base et travaillent sous la supervision du vétérinaire privé. Globalement, ce sont eux qui sont chargés de la délivrance des soins aux animaux. »
Quel rôle joue l’agent communautaire de santé animale ? Quelles sont ses principales activités ?
« Le premier rôle de l’agent communautaire de santé animale est de sensibiliser les éleveurs pour qu’ils aient recours aux services de traitements modernes. Beaucoup ont tendance à pratiquer l’automédication de leur bétail avec des produits qu’ils se procurent via des circuits informels. Ensuite vient la vulgarisation des techniques modernes d’élevage en matière de soins et de production. L’ACSA sert aussi de relais entre les communautés et les services vétérinaires, pour des questions tant de santé publique que purement vétérinaires. Il joue par exemple un rôle important dans l’épidémio-surveillance, en rapportant les cas suspects.
Il a aussi une fonction communautaire car il est en contact direct avec les communautés et doit les guider dans les activités d’élevage et la vente des produits, par exemple. Comme il fait lui-même partie des communautés, il leur garantit un accès direct aux soins de santé animale modernes. »
Comment a été pensé et mis en place le modèle SVPP ? Comment la santé animale était-elle prise en charge auparavant ?
« Jusque dans les années 70, toutes les prestations en matière de santé animale étaient fournies par l’Etat. L’insuffisance des moyens à la fois humains, financiers et matériels a démontré les limites de ce fonctionnement. Vers les années 90, avec les programmes d’ajustements structurels, l’Etat a opté pour la privatisation du secteur de l’élevage. Les agents communautaires de santé animale existaient depuis longtemps au sein des services publics, mais le système avait ses limites. Il y avait beaucoup d’efforts à faire pour améliorer la qualité des services de santé animale. Le choix de la privatisation avait pour but d’améliorer la sécurité alimentaire et de garantir des services de soins de proximité et de qualité. Le système a été pensé pour rendre la délivrance des services de soin de santé animale plus facile et accessible. »
Depuis combien de temps ce dispositif existe-t-il ?
« L’installation du premier SVPP au Niger remonte à 2002, à Dakoro, une localité reculée au sud du pays. Depuis, on a connu différentes phases de mises en place, plus ou moins lentes en fonction des partenaires et du budget. 20 ans plus tard, nous comptabilisons aujourd’hui un total de 40 SVPP actifs au Niger, principalement dans la bande sud-ouest du pays. Dans la grande majorité des cas (39 sur 40), c’est Vétérinaires Sans Frontières Belgique qui les a mis en place ou les a renforcés. »
Comment expliquer la réussite du système au Niger et la difficulté à le répliquer dans les pays voisins ?
« La principale raison de notre réussite au Niger, c’est que nous bénéficions d’un environnement institutionnel favorable. C’est la grande différence avec les autres pays. Nous sommes parvenus à faire adopter un guide national de mise en place des SVPP. Nous avons aussi obtenu en 2015 que le Ministère publie des arrêtés reconnaissant le rôle des ACSA et favorisant l’installation des SVPP. Ce cadre institutionnel n’existe malheureusement pas dans les autres pays. Certains refusent d’ailleurs de reconnaitre la fonction d’ACSA, entre autres par peur de la concurrence qu’ils pourraient faire aux vétérinaires. »
Selon vous, quels sont les facteurs clés de l’efficience et de la durabilité des ACSA ?
« Le choix de la zone est très important. Il faut s’assurer que les effectifs d’animaux soient suffisamment importants pour garantir un bon chiffre d’affaires pour le SVPP. Le deuxième critère est le choix des acteurs eux-mêmes. La motivation des agents est très importante pour que le système fonctionne bien. Il faut aussi veiller à bien respecter les critères du guide d’installation, notamment en ce qui concerne le maillage. Lorsque les ACSA sont trop rapprochés, on observe beaucoup de cas d’abandon de la profession, car l’offre est supérieure à la demande et il n’y a pas assez de travail pour tout le monde.
Un autre critère est la formation des acteurs et leur encadrement. Cela fait des années que je travaille dans la mise en place des SVPP, et un des éléments qui participent à leur succès est le fait que les vétérinaires réussissent à maintenir un suivi et un bon encadrement de leur personnel. Les formations de révision et surtout l’exercice pratique renforcent leurs capacités. La sensibilisation à tous les niveaux est aussi très importante : aussi bien auprès des éleveurs, pour qu’ils aient recours aux produits conventionnels, qu’auprès des acteurs de la santé animale et des services vétérinaires publics et privés. Globalement, le système fonctionne bien au Niger, mais il rencontre tout de même des défis. D’après les acteurs de terrain, la concurrence déloyale et l’automédication sont des enjeux majeurs pour l’avenir du système. »
Ces propos ont été recueillis par nos collègues de VSF International lors de l’atelier de validation organisé à Niamey les 19 et 20 juillet 2023 pour clôturer l’étude de cas sur les Agents Communautaires de Santé Animale.