Le calvaire des éleveurs déplacés par la violence au Burkina Faso

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Alors que le pays comptait moins d’un million de personnes déplacées internes en 2018, le Burkina Faso est confronté depuis quelques mois à une explosion de mouvements de population sur son territoire. Huit des treize régions du pays sont aujourd’hui touchées, et des villes entières sont sous blocus. Au 31 octobre 2022, on y dénombrait pas moins de 3 434 incidents sécuritaires depuis le début de l’année.

Vétérinaires Sans Frontières intervient dans huit localités, de Bobo Dioulasso à Fada N’Gourma en passant par Dori, où ces personnes se réfugient en quête de sécurité. Rien que dans les régions du Sahel et du Centre-Est, nos actions ciblent actuellement plus de 3 500 personnes. Depuis 2019, Hamado Ouedraogo est à la tête de notre équipe burkinabé. Nous lui avons posé quelques questions.

Hamado Ouedraogo, directeur des programmes de Vétérinaires Sans Frontières au Burkina Faso

Comment expliquer une telle dégradation de la situation au Burkina Faso ?

« Un peu partout, l’activité des groupes armés non étatiques s’est intensifiée et leur stratégie d’attaque a évolué. Avant, ils ciblaient les autorités sécuritaires. Aujourd’hui, ce sont les biens publics qui sont visés : les installations téléphoniques sont sabotées, les bâtiments des institutions étatiques, et même les grands axes routiers, ce qui provoque le blocage complet de certaines villes. Pour bloquer le trafic, ils font sauter des ponts avec des engins explosifs improvisés.

C’est comme ça que Djibo est inaccessible depuis 2019, avec ses 70 000 habitants. La ville de Sebba subit également un blocus depuis le mois de mai. Tout l’axe principal qui reliait Dori à Sebba ne peut plus être emprunté. C’est trop dangereux, il y a des mines un peu partout le long de la route. Notre équipe à Sebba continue à travailler mais l’accès se fait uniquement par vol humanitaire. L’axe Kaya-Dori est aussi extrêmement dangereux, là aussi à cause des engins explosifs et du sabotage des ponts. La population de Dori est donc isolée aussi de manière permanente. »

Quelles sont les conséquences pour la population, les éleveurs et leur bétail ?

« De plus en plus souvent, ils subissent un « double déplacement ». D’abord, comme c’est le cas depuis 2018, la population opère un premier déplacement vers une localité plus sûre. Dans ces cas-là, certaines familles arrivent encore à emporter leurs animaux. Mais une fois que les localités-refuge sont touchées à leur tour par des attaques, le problème s’amplifie. Car ce ne sont pas seulement les familles déplacées mais également leurs familles d’accueil qui sont poussées à fuir, souvent au-delà des frontières de leur province. Actuellement, les zones de refuge se situent surtout dans les régions du Centre-Est et du Centre-Sud. La population trouve refuge en périphérie des grandes villes, où l’Etat a dû d’installer des tentes et des abris avec l’appui des organisations humanitaires. On y met en place des sites d’accueil temporaires, avec des tentes de fortune.

La situation des éleveurs est critique car leurs animaux sont très mal en point. Ils manquent d’eau et de pâturage, et il n’y a évidemment pas de compléments disponibles. Inévitablement, leur valeur baisse sur les marchés. Aujourd’hui, pour avoir un sac de mil, il faut donner deux voire trois chèvres ! La dépréciation du bétail sur les marchés est un phénomène cyclique après la période de soudure, mais dès la reprise des pluies, la situation revient rapidement à la normale puisque les animaux ont de quoi manger et boire. Cette année, les pâturages, les points d’eau et les marchés ne sont pas accessibles. C’est comme si les animaux étaient maintenus dans une période de soudure permanente. »

Que se passe-t-il pour les habitants des villes en blocus ?

« Leur situation est dramatique car personne ne peut sortir. Certains arrivent quand même à s’enfuir, mais c’est très dangereux. Pour les éleveurs, c’est presque impossible d’emmener leur bétail. De toute façon, en général, il est volé à l’arrivée des groupes armés non étatiques.

La population se retrouve complètement isolée et en souffre beaucoup. Les gens n’ont plus accès aux soins de santé ni à l’éducation et à l’alimentation de base. A Sebba par exemple, les gens ne mangent plus que la viande de leurs animaux car il n’y a plus de céréales. Ça a créé une forme de spéculation : le sac de riz de 50 kg, qui était vendu à environ 30 euros, coûte maintenant plus de 100 euros. Mais de toute façon, aujourd’hui on ne trouve même plus un bol de riz à vendre sur le marché. La situation nutritionnelle en devient tragique. Depuis juin et juillet, on observe dans certaines localités des formes sévères de malnutrition chez les enfants. La situation se dégrade très vite. »

Quelles sont les perspectives pour la population ?

« Dans les villes en blocus, les perspectives sont pratiquement inexistantes. Les gens développent des stratégies d’adaptation très négatives. Certains doivent se résoudre à mettre leurs enfants en esclavage dans d’autres familles pour diminuer la charge alimentaire du ménage. Ou forcer leurs enfants à mendier.

Beaucoup finissent aussi par brader leurs animaux. A Sebba par exemple, on peut acheter une chèvre pour 10 000 francs CFA (environ 15 euros) au lieu de 25 ou 30 000 francs avant le blocus (38 à 45 euros environ). Bientôt, les habitants n’auront plus d’animaux à consommer. Ils attendent désespérément l’escorte de ravitaillement en vivres pour survivre. Mais à cause de la dangerosité des routes, les convois arrivent à des fréquence très faibles… ce qui en poussera peut-être à se déplacer à nouveau pour survivre, avec tous les risques que cela implique. En réalité, seules les femmes sont autorisées à quitter la ville, à condition de ne pas revenir. »

Comment Vétérinaires Sans Frontières parvient-elle à continuer à venir en aide aux populations déplacées ?

« Nous mettons en place des actions de soutien aux personnes déplacés internes depuis 2019, mais pour nous aussi, la situation s’est dégradée. Nous continuons notre travail mais nous devons nous adapter. En faisant très attention, on arrive malgré tout à continuer nos activités.

De manière générale, nous avons l’avantage d’être encore tolérés et c’est un atout. Les incidents sécuritaires ont très peu impacté les agents du secteur ONG. Nous prenons beaucoup de précautions pour éviter d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Il arrive qu’il y ait des contrôles irréguliers, mais notre personnel est formé à réagir correctement dans ces situations délicates. »

Que se passe-t-il dans localités auxquelles nous n’avons plus accès à cause du blocus ?

« Dans les endroits où nous ne pouvons pas nous rendre, nous nous appuyons sur la communauté. Nous avons des relais communautaires sur place, parmi les familles hôtes, qui nous aident beaucoup dans l’implémentation de nos activités. Cet ancrage social fort nous garantit la confiance de la population et nous permet de continuer notre travail. Pour faciliter l’approvisionnement en alimentation, nous avons aussi recours au cash transfer par exemple.

Nous essayons aussi de protéger le bétail sur place grâce à notre réseau de santé animale de proximité, et de continuer à apporter les soins de base aux animaux. Ce n’est pas facile car nos agents de santé animale ont des difficultés à s’approvisionner. Ils peuvent difficilement sortir pour aller chercher des médicaments auprès du vétérinaire du chef-lieu. Mais leur activité reste heureusement tolérée par les groupes armés non étatiques. »

En 2022, nos activités humanitaires en soutien aux populations déplacées et réfugiées au Burkina Faso étaient financées par la coopération belge au développement (DGD), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).