Avec plus de 120 projections de films en Flandre et aux Pays-Bas, le Food.Film.Fest. de Voedsel Anders a de nouveau été une belle réussite cette année. En tant que co-programmateur et membre de l’équipe principale, nous sommes fiers du succès de cette troisième édition ! Avec une sélection pointue de films qui parlent de la manière de changer notre système alimentaire, nous misons sur des récits inspirants pour aborder les défis et les solutions de la problématique complexe de l’alimentation à l’échelle mondiale.
Nous avons également organisé une projection du film « Sur Le Champ ! » au Studio Skoop à Gand en collaboration avec le WWF. Le film raconte l’histoire de familles d’agriculteurs durables et résilients en Belgique, au Pérou et au Burkina Faso. Le film a été suivi d’un débat sur les opportunités et les défis d’une transition vers un système alimentaire agroécologique. Joost Dessein (professeur de sociologie rurale à l’UGent) s’est entretenu avec Bertjan Olivier (directeur chez Menapii et administrateur auprès du West-Vlaamse Milieubeweging), Pierre-Alexandre Billiet (CEO de Gondola, conférencier et auteur) et Marjolein Visser (professeur d’agroécologie à l’ULB).
Vous trouverez ci-dessous un petit résumé de ce débat particulièrement intéressant.
Le débat après la projection : Quels sont les opportunités et les défis d’une transition vers un système alimentaire agroécologique?
Dessein : L’un des éléments cités dans le film est le rôle des intermédiaires qui déterminent ce que l’agriculteur reçoit et ce que le consommateur paie. Ces intermédiaires, qui sont souvent le secteur de la distribution chez nous, n’ont pas vraiment le beau rôle. Le secteur de la distribution est-il le méchant dans cette histoire ?
Billiet : Il ne s’agit pas de savoir qui sont les bons ou les méchants, c’est une question de système. Le système économique actuel de surconsommation n’est apparu qu’après la Seconde Guerre mondiale, il n’est donc pas si vieux. Pour soutenir les nombreuses industries créées à l’époque pour l’alimentation, les voitures et les munitions, le choix a été fait d’encourager davantage la consommation plutôt que de réduire la production. Et je pense que c’est là le grand paradoxe : c’était un choix à l’époque et ça l’est toujours. Le système actuel n’est pas obligatoire, nous pouvons nous en libérer. Par conséquent, si le choix se porte sur un nouveau système, le secteur de la distribution suivra certainement.
Dessein : Le secteur de la distribution est donc un suiveur ? Il est particulièrement puissant. Pourquoi n’avez-vous pas le courage de changer vous-mêmes certaines choses ?
Billiet : Parce que la question que se posent les distributeurs est : quelle est la rentabilité de la transition vers un nouveau système et qui va suivre le mouvement ? Comment allons-nous transformer toutes ces merveilleuses idées du film en un système ? Selon moi, il est nécessaire d’adopter une approche commune réunissant les gouvernements, les entreprises et les consommateurs autour d’une table. Dans mon livre « Consommation de Crise », je propose cette approche sous la forme d’une « Stratégie ABC » (Administration – Business – Citizen/Consumer). Sinon, nous allons continuer à pointer l’autre du doigt. Les consommateurs n’achètent pas toujours ce qui est le mieux pour leur santé, et les conséquences de cela – les coûts externes d’une alimentation bon marché – nous les supportons tous.
Dessein : Bertjan Olivier, qu’en pensez-vous ? Est-ce la faute du consommateur ?
Olivier : Dans le film, il est dit que « chaque acte de consommation est un vote », mais je pense qu’en tant que consommateur, vous êtes moins responsable que les puissantes entreprises. Et je comprends que le secteur de la distribution suive le consommateur. Cela a une certaine logique dans le contexte du modèle économique, mais je trouve cela inadmissible. 80 à 90 % des ventes passent encore par le secteur de la distribution, qui doit donc prendre ses responsabilités. Il représente l’interface entre le producteur et le consommateur. Son rôle consiste donc bien à montrer l’exemple, à raconter une histoire qui justifie ses choix et à créer une relation de confiance.
Dessein : Quelle est votre position en tant que producteur ? Comment voulez-vous changer le système alimentaire ?
Olivier : Chez Menapii, nous essayons d’offrir une alternative à la viande de porc industrielle. Nous avons rétrocroisé la variété porcine « Vlaamse oervarken » datant de l’époque des Ménapiens il y a 2 000 ans, et nous la commercialisons à nouveau aujourd’hui. De cette manière, nous mettons l’accent à la fois sur le bien-être animal et sur la durabilité. Ces animaux vivent plus longtemps, ils se promènent en plein air dans les pâturages, ne sont nourris qu’avec des déchets, ne sont pas castrés, etc. Nous avons également repris en main le contrôle de l’abattage, du transport, de la découpe et de la vente. Cela ne signifie pas nécessairement que vous devez tout faire vous-même. Vous avez besoin d’autres acteurs pour construire ensemble de nouvelles chaînes. Comme vous le voyez, les intermédiaires ne doivent pas toujours être les méchants de l’histoire.
Dessein : Dans le film, on parle de l’agroécologie comme d’un mouvement social, mais il s’agit aussi d’un mouvement politique. Quel est le rôle de la politique pour changer les choses ?
Visser : En théorie, la politique doit œuvrer pour le bien commun. Mais qu’entendons-nous aujourd’hui ? La Commission européenne autorise le glyphosate pour 10 années supplémentaires. Au lieu d’une politique indépendante qui défend l’intérêt général, nous avons une politique qui favorise les intérêts de puissants actionnaires.
Dessein : De quelle politique avons-nous besoin dans ce cas ?
Visser : Comme le dit si bien Olivier De Schutter dans le film, il faut une politique alimentaire européenne plutôt qu’une politique agricole. Une politique alimentaire est beaucoup plus transversale qu’une politique agricole. Cette dernière se concentre principalement sur la productivité et la croissance. À l’heure actuelle, le système agricole est totalement surdimensionné et au bord de l’effondrement. Aujourd’hui, l’âge moyen d’un agriculteur en Flandre est de 55 ans et beaucoup n’ont pas de successeur. Une politique alimentaire, en revanche, établit un lien entre l’alimentation, la santé, la biodiversité, l’agriculture et les écosystèmes. Cela permet d’ouvrir le débat à un plus grand nombre de parties prenantes différentes, et pas seulement aux agriculteurs. C’est là que réside la différence.
Public : Quel rôle pouvons-nous jouer en tant que citoyens pour encourager le changement ?
Visser : Il y a toute une série de choses très simples que chacun d’entre nous peut faire. Tout d’abord, cuisinez vos propres repas et ne vous laissez pas tenter par les plats préparés et la restauration rapide. Deuxièmement, soyez critique à l’égard des ingrédients. Chaque achat est un vote, faites donc vos courses différemment et évitez les supermarchés. Troisièmement, et c’est déjà un peu plus difficile, créez votre propre potager, une révélation pour beaucoup. Il y a trois générations, pratiquement tout le monde avait encore ce contact avec la terre. Quatrièmement, entrez en contact avec un agriculteur, n’importe lequel, et essayez de comprendre ce qu’il vit. Et le cinquième et dernier point, si vous voulez aller jusqu’au bout : devenez vous-même agriculteur.