L’élevage, une revanche pour les femmes au Burundi

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Originaire de la province de Karuzi, au centre du Burundi, Christella Kankindi , 37 ans, a eu le courage de tout quitter pour échapper à un époux violent. Deux ans après le divorce, son ex-mari est revenu lui enlever ses enfants alors qu’ils étaient seuls à la maison. De peur qu’il ne revienne chercher sa fille, qui avait réussi à lui échapper, Christella a pris la fuite sans laisser d’adresse. C’est sur la colline de Nyaruntana, dans la province de Ngozi, qu’elle a trouvé refuge, loin de sa famille et de ses repères. C’était il y a cinq ans. Depuis, la jeune femme a eu deux autres filles qu’elle élève seule ; elle n’a plus aucune nouvelle de ses fils aînés. Habituée à un certain confort durant son mariage, elle vit aujourd’hui dans un grand dénuement et trime au quotidien pour subvenir seule aux besoins de ses trois filles.

Chaque jour, Christella travaille comme main d’œuvre agricole pour des agriculteurs des environs. Un travail pénible qui rapporte peu. Tout juste de quoi acheter de la nourriture pour ses filles et louer quelques terres où elle cultive bananes, maïs, haricot et manioc. Malheureusement, ses récoltes sont trop maigres pour lui rapporter le moindre centime. Pour cela, il lui faudrait de la fumure pour fertiliser le sol. Mais après avoir nourri ses filles, elle n’a plus d’argent pour en acheter. Un cercle vicieux qui n’en finit pas.

Une lueur d’espoir grâce à 4 chèvres

Christella, 37 ans, a dû refaire sa vie loin des siens et travaille dur pour subvenir seule aux besoins de ses trois filles. © Loïc Delvaulx

Désormais, Christella sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même pour offrir un avenir à ses enfants. Pourtant, la jeune femme ne regrette pas son choix. Car si sa vie est plus difficile à Ngozi, elle est aussi paradoxalement plus paisible. Et puis, Christella a un plan : bientôt, elle va recevoir des chèvres. Et tout va changer.

« Il y a quelques mois, j’ai appris que j’étais sur la liste d’attente pour bénéficier de chèvres, » explique la jeune femme. « J’étais très contente car sur ma colline, la plupart des gens élèvent des vaches alors que moi, je n’ai même pas une chèvre ou un mouton. Je me suis dit : ça y est, moi aussi je vais avoir mes propres animaux et mon fumier sans devoir l’acheter ! ». » En fertilisant ses terrains, Christella compte augmenter sa production et en vendre une partie pour améliorer sa maison. Elle voudrait remplacer le toit de tuiles par de la tôle plus étanche, pour éviter les fuites à chaque saison des pluies.

Au-delà des destins tragiques, la résilience

Ménédore, 56 ans, a trimé pendant des années pour nourrir ses sept enfants après le départ de son mari. Grâce à Vétérinaires Sans Frontières, elle a pris un nouveau départ il y a cinq ans. © Loïc Delvaulx

Des histoires comme celle de Christella sont malheureusement courantes parmi nos bénéficiaires. Mamans solos ou veuves, les femmes occupent une place de choix parmi les populations que nous accompagnons, au Burundi ou ailleurs. Au-delà de leur destin tragique, elles ont souvent un autre point commun : la résilience. Et pour les aider à s’en sortir, les chèvres sont un véritable atout. Des chèvres, pour sortir de la pauvreté ? Il suffit de croiser la route de Ménédore Nyabenda pour s’en convaincre.

C’est par un joli matin de juin que la matriarche de 56 ans nous accueille chez elle, sur la colline de Kavumu, à quelques encablures de la route et des commerces du coin. Pleine d’entrain, elle nous emmène faire le tour de sa propriété et nous présente ses chèvres, sa belle vache et son veau nouveau-né. Rien dans son attitude fière et joviale ne laisse imaginer les difficultés qu’elle a traversées. Pourtant, la vie de Ménédore n’a pas été un long fleuve tranquille.

Au début des années 2000, alors âgée de 34 ans et déjà mère de cinq enfants, Ménédore met au monde des jumelles. Peu après leur naissance, son mari les abandonne, effrayé par le fardeau de toutes ces bouches à nourrir. S’en suivent alors de longues années de tracas et de privations pour la jeune femme. Pendant que les plus grands sont à l’école, elle s’échine sur les champs du matin au soir avec deux bébés sur le dos pour pouvoir nourrir et payer les frais scolaires de toute la fratrie. Ses efforts ne suffisent pas toujours, comme cette fois où elle n’a pas assez d’argent pour payer l’uniforme de son fils. Un souvenir qui la culpabilise encore des années plus tard.

« Mes chèvres ont été la fondation de mon développement »

Ménédore est fière de nous montrer ses chèvres bien robustes dans leur chèvrerie : « Quand j’ai reçu mes chèvres, la chance m’a souri. Ça a été la fondation de mon développement. » © Loïc Delvaulx

Heureusement, tout cela est du passé. Il y a cinq ans, la chance a finalement tourné pour Ménédore : elle a reçu des chèvres et tous les appuis que nous offrons dans le cadre de notre approche holistique.

« Quand j’ai reçu mes chèvres, la chance m’a souri. Ça a été la fondation de mon développement. Aujourd’hui, je ne me plains de rien : je ne m’occupe plus que des animaux et j’emploie du monde pour cultiver mes terres. Mes revenus me permettent d’envoyer mes enfants à l’université : deux de mes filles ont étudié la gestion et la comptabilité, et mon fils va commencer des études supérieures en agronomie. Je peux payer sans problème leurs études et leur logement à Bujumbura. Si je n’avais pas eu mes chèvres, cela aurait été impossible. »

La découverte de l’abondance et la fin des tracas

Depuis cinq ans, Ménédore est accompagnée par notre collègue Emmanuella. L’animatrice lui rend régulièrement visite pour la conseiller sur ses pratiques agricoles et d’élevage. © Loïc Delvaux

Avant, les cultures de Ménédore ne lui rapportaient presque rien. C’était son premier souci : sans fumier pour fertiliser les sols, sa production était maigre. Aujourd’hui, tout a changé, comme en témoigne le registre de stockage qu’elle feuillette devant nous avec fierté : cette saison, elle a stocké 880 kg de maïs, 217 kg de riz et 332 kg de haricots. Sans compter les quantités qu’elle a consommées avec sa grande famille. Des quantités prodigieuses que Ménédore ne doit même plus se fatiguer à récolter elle-même : elle emploie un contre-maître qui se charge de trouver de la main d’œuvre pour cultiver ses cinq grands champs dans le marais.

Christella est confiante pour l’avenir : bientôt, elle recevra ses chèvres, et tout va changer. © Loïc Delvaulx

A l’avenir, la cinquantenaire a plusieurs projets. Convaincue du potentiel économique de l’élevage, elle envisage de se lancer dans l’aviculture. Mais d’abord, elle compte améliorer sa maison, qu’elle a déjà beaucoup agrandie ces dernières années, en la consolidant avec du ciment et en installant une toiture en tôle. Elle a aussi prévu d’y amener l’électricité et l’eau et d’acheter un terrain pour chacun de ses enfants, où ils pourront construire leur propre maison.

A l’instar de Ménédore, Christella a une certitude : grâce aux animaux, sa famille sera bientôt à l’abri. Mais pas question pour autant d’attendre les bras croisés. A défaut de posséder ses propres animaux, elle a déjà commencé à s’essayer à l’élevage et elle y a pris goût. Récemment, des voisins lui ont confié deux chèvres et deux lapins. Un beau coup de pouce qui témoigne de la confiance acquise au sein de sa nouvelle communauté. Quand ils auront des petits, elle pourra garder un chevreau et un lapereau en contrepartie des bons soins apportés aux animaux. D’ici là, elle peut déjà profiter de la fumure gratuite pour fertiliser ses champs. Une première étape qui présage un avenir bien meilleur pour elle et ses filles.