Je suis agronome et j’ai été étonnée d’arriver dans un pays tout vert, où on a l’impression que tout peut pousser. La végétation est luxuriante. Je ne m’attendais pas à ça. Bien sûr nous sommes à la fin de la saison des pluies et cette période ne dure que 2 mois en moyenne. Cela doit être tout à fait différent le reste de l’année. Je suis d’abord étonnée qu’ils ne profitent pas de cette période propice à la culture pour récolter et stocker un maximum. Chez nous, on multiplie les fauches et les récoltes en engraissant les terres. Ici, ils ne fauchent pas parce qu’ils pensent que la valeur nutritive du foin est médiocre. Aussi parce qu’ils ont très difficile à stocker, parce qu’ils sont très peu équipés, parce qu’ils doivent parcourir de très grandes distances à pied, parce que les termites dévorent tout, parce qu’ils réservent la bonne herbe aux jeunes animaux. Autre chose que je vais retenir de ce voyage : ils subissent de plein fouet le réchauffement climatique provoqué en grande partie par notre mode de consommation et de production. La saison des pluies est de plus en plus courte. Les changements climatiques nous préoccupent évidemment aussi mais quand on voit les dégâts qu’ils occasionnent ici, on comprend d’autant mieux l’importance du problème.
Je suis vétérinaire et je suis étonnée de découvrir le peu de moyens matériels et humains dont ils disposent pour soigner les animaux. Ils dépendent en majorité de leurs animaux pour survivre. Une vache, une chèvre ou une poule représente ici une énorme richesse, pour le lait d’abord, puis pour la viande, les cuirs et pour le statut social. La perte d’un animal est catastrophique pour eux. Ils mangent d’ailleurs les animaux morts. Ils ont à leur disposition, quand ils ont de la chance, quelques aiguilles et seringues et un ou deux flacons de médicaments. Pas étonnant de voir des chèvres boiteuses, des vaches maigres, des poules remplies de puces. Quant aux chiens et aux chats, ils n’ont aucune importance ici. Parfois les plus chanceux gardent les troupeaux et ont droit de manger. Quel écart énorme je découvre entre les besoins d’ici et les préoccupations de chez nous.
Je suis enseignante et je suis d’autant plus convaincue de l’importance de l’éducation. Lorsque nous avons participé aux formations données par Vétérinaires Sans Frontières, j’ai constaté leur envie d’apprendre. Quelques petits conseils ont un impact énorme ici. Malheureusement, peu d’enfants vont à l’école. Besoin d’eux pour garder les troupeaux, peu ou pas d’école, trop de kilomètres à parcourir, à pieds nus souvent. Mes élèves ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont.
Je suis une femme et j’admire ces femmes rencontrées sur notre chemin. Elles portent du bois ou de l’eau sur leur tête sur des kilomètres. J’ai eu difficile à porter leur charge à bout de bras et des gamines de 8 ans le font sans problème. Souvent elles portent en plus un bébé car elles doivent allaiter. J’admire leur force et leur courage. Je les admire aussi d’accepter de partager leur homme avec d’autres femmes, d’accepter d’être troquée contre des vaches, d’accepter de ne rien recevoir lorsqu’elles divorcent. Elles n’ont sans doute pas le choix.
Je suis une maman et j’ai été profondément touchée de découvrir la misère dans laquelle vivent les enfants. À pieds nus, habillés souvent de vêtements troués très sales, remplis de teigne, ne réagissant même plus à l’assaut des mouches, gardant les troupeaux sous un soleil de plomb. Pas étonnant que 10% d’entre eux n’atteindront pas l’âge de 5 ans. Ils n’en restent pas moins des enfants, s’amusant avec une simple bouteille en plastique, un pneu et un bout de bois, des cailloux en guise de dés, sautant à la corde, courant derrière le bus, jouant au foot, s’émerveillant devant les photos que je prends d’eux. Ils sont d’ailleurs très étonnés de l’attention que je leur porte. Comme si, ici, les enfants n’avaient pas l’habitude qu’on s’occupe d’eux. Difficile d’imaginer que dans quelques jours mes enfants ouvriront leurs cadeaux de Saint-Nicolas et ne pourront s’empêcher de faire la moue parce qu’ils auraient préféré autre chose…
Je suis membre d’un groupe et je suis heureuse d’avoir rencontré mes compagnons de voyage. Nous sommes tous différents mais complémentaires. Je suis heureuse d’avoir rencontré des personnes simples, curieuses, à l’esprit ouvert et qui ont envie de faire bouger les choses. Chacune a sa manière.
Je suis ambassadrice de Vétérinaires Sans Frontières et je me rends compte de la chance que j’ai de vivre une telle expérience. Je suis encore plus convaincue par le bien-fondé des projets et des missions de Vétérinaires Sans Frontières. J’ai pu me rendre compte de ce qu’ils faisaient sur le terrain. Leur aide est précieuse et améliore la vie de beaucoup de personnes. Il reste malheureusement beaucoup à faire et je compte bien continuer à les soutenir après ce voyage. Je suis encore plus motivée qu’avant.
Je suis Catherine et tout ça en même temps. Je trouve que ce monde est déséquilibré, inégal, injuste, cloisonné. J’aimerais secouer la terre, un peu comme une boule à neige, pour pouvoir tout mélanger, les couleurs, les cultures, les modes de vie, les richesses. Que notre vie ne dépende pas uniquement de l’endroit où l’on vient au monde. Ça serait plus juste. Utopiste certainement. Difficile de ne pas culpabiliser d’être née du bon côté, au bon endroit, dans un milieu social aisé. Mais culpabiliser ne servira à rien. Peut-être faut-il déjà qu’on se rende compte de la chance que nous avons, arrêter de nous plaindre, changer notre façon de vivre et de consommer, s’ouvrir plus aux autres, partager ? On ne revient en tous cas pas indemne d’un tel voyage…
Catherine Waterkeyn