Les soins vétérinaires au Niger
Le Niger ne compte au total que 126 vétérinaires pour une superficie de 1 267 000 km², soit un vétérinaire pour 10 000 km² ! La majorité de ces vétérinaires travaillent de plus pour l’État. L’accès aux soins est dès lors très limité pour les populations rurales dépendant pourtant directement de leur bétail pour survivre. Depuis plus de dix ans, Vétérinaires Sans Frontières aide les vétérinaires privés à s’installer en zone rurale et forme des agents communautaires de santé animale parmi les éleveurs pour les appuyer et assurer un service de proximité dans les régions reculées. Actuellement, le réseau de santé animale mis en place par l’ONG compte 16 vétérinaires et 545 agents communautaires de santé animale répartis sur 29 des 63 départements du Niger. Le Dr Abdoulaye Saidou Alzouma fait partie de ces vétérinaires. Depuis 2008, il est responsable des services vétérinaires privés de proximité mis en place par Vétérinaires Sans Frontières dans la région de Madaoua.
Un programme chargé
Durant son séjour, Abdoulaye a eu un programme intense. À peine arrivé, il est reparti vers Nantes pour participer à un congrès avec le groupe de l’Union Professionnelle Vétérinaire. Il a non seulement assisté aux différentes conférences mais a surtout pu rencontrer et échanger avec plus de trente confrères belges. Ensuite, il a accompagné le Dr Bernard Gauthier, praticien rural à Couvin, pendant une semaine et le Dr Benjamin Charles, inséminateur bovin dans le Hainaut, pendant quatre jours. En fin de séjour, il a visité l’abattoir de Droixhe et la Faculté de Médecine Vétérinaire de Liège. Il a aussi participé à la Journée mondiale du lait, organisée chaque année par Vétérinaires Sans frontières le 1er juin devant Manneken Pis, ainsi qu’à des rencontres avec des sympathisants et des collaborateurs de Vétérinaires Sans Frontières.
Les premières impressions
Il est difficile de résumer tout ce qui a été dit et fait durant son séjour. J’ai donc posé quelques questions à Bernard et à Benjamin, qui ont gentiment accompagné, formé et hébergé Abdoulaye.
- À quoi vous attendiez-vous avant cet échange ?
BG : Je ne pensais pas que je pouvais lui apporter quelque chose ici. Je pensais que c’était plus intéressant d’aller là-bas, avec leurs animaux, leurs contraintes, leur climat.
BC : Ne sachant pas trop à quoi m’attendre, je n’avais pas spécialement de craintes ou d’attentes particulières, si ce n’est un très gros doute sur la possibilité d’apprendre à inséminer en seulement 4 jours.
- Quelles sont vos premières impressions suite au séjour d’Abdoulaye ?
BG : J’ai complètement changé d’avis. Je me suis rendu compte que je pouvais apporter beaucoup à mes confrères africains en les formant ici. À eux ensuite d’adapter là-bas ce qu’ils ont appris ici ! J’ai en effet été étonné de voir qu’Abdoulaye était très compétent pour des actes pointus (césariennes, chirurgies) mais qu’il ne savait pas faire un simple examen général. Ausculter un bovin, examiner les matières fécales et le cordon ombilical, écouter la rumination, autant de choses simples et évidentes pour nous mais complètement inconnues pour lui. Les diagnostics de gestation par fouiller rectal par exemple est le geste par excellence qu’il va pouvoir rapporter là-bas… Pas de matos, aucun coût… mais un geste qui peut rapporter gros pour lui et ses éleveurs (ils vendent ou tuent régulièrement des bovins gestants… quelles pertes et gâchis).
BC : J’ai réellement eu l’impression d’être utile ! Leur formation a l’air plus théorique que pratique. Durant ces 4 jours, il a pu fouiller beaucoup de vaches et a appris à détecter les chaleurs et à inséminer. Et puis le plaisir de partager avec d’autres, c’était très enrichissant. Dès lors qui il y a échange, oui, on apprend des choses. La rencontre avec un autre contexte socio-culturel permet toujours de prendre du recul sur sa propre vie et son environnement.
- Pensez-vous qu’il faut recommencer ? Si oui, que changeriez-vous ?
BG : Oui sans hésiter. Mais j’insisterai plus sur l’examen général. J’aurai aussi aimé lui montrer le parage des bovins car de nouveau c’est un acte simple, utile et peu coûteux. Pour moi, le congrès était trop pointu et pas nécessaire mis à part les échanges avec les autres vétérinaires.
BC : Oui ! Je trouve qu’il aurait fallu 2 à 3 jours de TP de propédeutique pour qu’il puisse se faire la main avant le stage. Ce genre de choses peut tout à fait être fait à la Faculté.
- Pensez-vous que ce voyage aura des répercussions au Niger ?
BG : Je pense qu’Abdoulaye est reparti au Niger avec beaucoup d’idées. Il va par exemple utiliser systématiquement le fouiller rectal pour le diagnostic de gestation. Maintenant il maîtrise aussi mieux l’examen général. Durant son stage, il a beaucoup parlé avec les éleveurs et a découvert beaucoup de similitudes entre nos élevages et les leurs. Ce sont les solutions aux problèmes qui varient. Il a par exemple été surpris que l’herbe ne pousse pas chez nous toute l’année, que nous avons aussi une saison sans nourriture et que nos éleveurs doivent stocker. La gestion du cabinet l’a beaucoup intéressé et il a vite compris les avantages du travail en équipe ! Il pense collaborer avec un confrère et/ou engager du personnel dans un avenir proche.
BC : Oui, je pense qu’il est reparti avec pas mal de projets et d’applications de ce qu’il a vu ici. C’est justement là où ce programme est le mieux. À mon sens, ça ne sert pas à grand chose d’aller, nous vétérinaires, au Niger pour leur apprendre le point de vue des européens. Ce qu’il faut faire, c’est plutôt leur donner l’opportunité de voir comment d’autres font les choses pour, par la suite, les transposer chez eux.
- Si vous deviez raconter une anecdote, un souvenir, un moment, quel serait-il ?
BG : Tout d’abord, le séjour a été riche en émotions. Nous avons rapidement noué une relation sincère et forte. Je m’y attendais connaissant l’Afrique noire pour y avoir voyagé à plusieurs reprises. Voici une anecdote parmi d’autres. En fin de séjour, Abdoulaye raconte toutes les choses nouvelles pour lui et puis, d’un coup, s’exclame : « En plus, j’ai appris qu’on pouvait encore travailler à plus de 50 ans… comme Bernard… ça valait donc la peine que je vienne malgré mes 41 ans ! »
BC : Abdoulaye et ses frites à chaque repas ! Et le professeur Hanzen qui reste bouche bée lorsqu’Abdoulaye lui explique qu’en 2 ans il est passé de 25 à 2000 poules pondeuses en production locale. D’autant plus que pour lutter contre l’importation venant des pays voisins, il diminuait le coût de production et donc de vente de ses œufs. Un véritable businessman !
- Seriez-vous prêt à recommencer ?
BG : Oui, tout à fait. Pour moi, c’est LA manière la plus appropriée d’enfin pouvoir apporter quelque chose aux vétérinaires du Sud… Ce n’est pas là-bas que je peux leur être utile, mais bien ici ! Ils viennent voir comment on résout nos problèmes – qui sont souvent les mêmes que chez eux – et tirent eux-mêmes leurs conclusions qu’ils pourront adapter à leur sauce chez eux. Les carences en baba « pratique », comme l’examen général, pourraient être très facilement corrigées par un stage de 15 jours chez nous… à organiser pour tous les jeunes vétos qui se lanceraient au Niger. En tous cas, je suis heureux d’avoir participé à cette aventure, heureux d’avoir rencontré Abdoulaye, heureux d’avoir pu lui apporter tant de choses, professionnelles et humaines, heureux et fort surpris des réactions de mes clients… Quelle empathie de leur part, ils m’ont souvent surpris par une ouverture d’esprit que je ne leur soupçonnais pas ! Idem avec mes confrères au congrès… Dommage que le Niger est si peu sûr car j’aurais bien aimé aller lui rendre visite là bas !
BC : Oui, je l’espère. Si j’ai le temps, et que l’opportunité se représente, je serais tout à fait disponible pour accueillir un autre stagiaire. De plus, Abdoulaye m’expliquait que les vétérinaires praticiens privés au Niger étaient structurés en une association d’une vingtaine de membres. C’est finalement l’UPV Nigérien. Des échanges peuvent tout à fait avoir lieu entre ces deux structures !
Une belle réussite
Je trouve que cette première expérience a été une réussite même si certaines choses doivent être améliorées ou adaptées. Chacun a apporté et reçu beaucoup de choses durant ces 2 semaines. Abdoulaye est reparti avec beaucoup de nouvelles connaissances, avec l’envie de transmettre son expérience à ses confrères, avec des projets et des idées plein la tête et avec la conviction qu’il pourra améliorer les soins vétérinaires au Niger grâce à son voyage en Belgique ! Nous sommes restés avec le sentiment d’avoir été utiles, une meilleure compréhension des difficultés rencontrées par nos confrères nigériens et une foule d’anecdotes et de souvenirs. Merci à tous ceux qui ont contribué à la réussite de ce stage (Bernard, Tania, Benjamin, Fabienne, Fabrice,…) et merci à Vétérinaires Sans Frontières de nous avoir permis de vivre une telle expérience !
Catherine Waterkeyn
> Cliquez ici pour visionner le chouette reportage de Télésambre sur la visite d’Abdoulaye chez Bernard.